Conseiller les entrepreneurs autochtones.
L’entrepreneure Lara Siouï, qui habite sur la réserve autochtone de Wendake, enclavée dans la ville de Québec, n’est pas saisissable par la banque. Conséquence : peu d’institutions financières non autochtones sont enclines à lui prêter de l’argent. De nombreux entrepreneurs autochtones se retrouvent face à la même problématique. Les avocats et le milieu d’affaires peuvent cependant les aider de diverses façons.
« Il y a bien le Conseil de la Nation huronne-wendat qui octroie des prêts, mais à des taux d’intérêt de 2 % ou 3 % plus élevés que les banques », indique la fondatrice d’Onquata, une boutique en ligne de pagaies créées par des artisanes autochtones pour laquelle elle recherche toujours du financement.
Cette situation découle de la Loi sur les Indiens. Celle-ci stipule entre autres que les biens « d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve » ne peuvent faire l’objet d’une hypothèque ou d’une saisie « en faveur ou à la demande d’une personne autre qu’un Indien ou une bande ».
Il s’agit d’un obstacle majeur en matière de financement, indique Me Ken Rock, directeur général de la Société de développement économique de Uashat Mak Mani-Utenam et membre de la nation innue. « Aucune institution financière ne veut prendre de risques, déplore-t-il. Sans mise de fonds, il n’y a pas d’entreprise ».
Des stratégies juridiques
Me Caroline Briand, spécialiste du droit autochtone et associée du cabinet Langlois, identifie quelques stratégies pour contourner cet obstacle. À commencer par l’obtention d’un cautionnement de la part de sa communauté. « Ça a ses limites, reconnaît-elle, mais une institution financière va être rassurée si elle sait qu’elle dispose de l’engagement du conseil de bande. »
Une autre stratégie est qu’une Première Nation se dote d’un Code foncier qui permet d’éviter ces restrictions en matière de droits de propriété. Les terres concernées, tout comme les ressources s’y trouvant, ne sont alors plus gérées par le ministre en vertu de la Loi sur les Indiens, mais bien par la Nation elle-même. « Sauf que c’est un processus long, qui nécessite beaucoup de réflexion et d’adhésion », note l’avocate.
Sans compter que chaque communauté gère le développement économique à sa façon, souligne l’entrepreneure innue Mélanie Paul, originaire de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean. « Certaines ont un agent de développement économique à même le conseil de bande, d’autres se sont dotées d’une société de développement économique. D’autres encore ont un modèle d’affaires plus communautaire », énumère la conférencière et formatrice en partenariat holistique autochtone.
Rappelons que le Québec compte 11 nations autochtones incluant plus de 50 communautés différentes.
Des préjugés demeurent
Pour aider les entrepreneurs autochtones, les avocats d’affaires peuvent également effectuer un travail de vulgarisation auprès des financiers, fait valoir Me Caroline Briand, qui déplore que certains préjugés tenaces perdurent dans ce milieu. Elle les attribue aux biais plus ou moins conscients rattachés à l’image que la société se fait d’un entrepreneur.
« J’ai récemment travaillé avec une entrepreneure autochtone qui avait de la difficulté à faire reconnaître son entreprise à des fins de contrats, raconte-t-elle. Les gens ne croyaient pas qu’une femme autochtone pouvait être à la tête d’une entreprise. »
L’avocate déplore également le fait que certains gens d’affaires vont s’attendre à ce qu’un partenaire non autochtone participe nécessairement au projet, « alors que les entrepreneurs autochtones disposent tout comme eux de leur propre vision d’entreprise ».
Selon Me Briand, il est clair que « la réconciliation [avec les Premières Nations] inclut aussi le monde des affaires et de la finance ».
À ce sujet, Mélanie Paul utilise d’ailleurs le mot « réconciliaction ». « Il est important que l’on co-crée des projets porteurs qui vont nous permettre de nous rapprocher, de mieux nous connaître, et de sortir gagnant de part et d’autre », insiste-t-elle.
Pour bâtir un lien de confiance mutuelle avec leurs clients autochtones, les avocats doivent « prendre le temps de s’informer et de s’éduquer », conseille Mélanie Paul. « Il ne faut pas omettre l’Histoire et la dimension sociale, souligne-t-elle. Souvent, il y a une maîtrise du politique et de l’économique, mais les enjeux sociaux peuvent être un frein au développement. »
En tant que juriste, Me Briand estime pour sa part qu’elle doit faire comprendre aux entrepreneurs qu’elle respecte leur vision. « On n’est pas là pour décider à leur place ou leur imposer un paradigme qui est le nôtre, à nous Canadiens français du sud du Québec. »
Se rendre sur place peut les aider à se rendre compte des défis logistiques auxquels sont confrontées certaines communautés, ajoute-t-elle. « L’approvisionnement en équipement ou l’acquisition ou la formation d’une main-d’œuvre spécialisée dans le Nord peuvent se révéler ardus ou extrêmement dispendieux », illustre l’avocate.
À Wendake, Lara Siouï a aussi fait face à des questions logistiques avant de trouver un local. « C’est petit ici ; il n’y a pas beaucoup de terres, pointe-t-elle. Nous sommes une nation qui est très entrepreneuriale, mais le manque d’espaces commerciaux sur la réserve demeure un gros enjeu. »